Ma vie de l'autre côté du mur by Wolf Biermann

Ma vie de l'autre côté du mur by Wolf Biermann

Auteur:Wolf Biermann [Biermann, Wolf]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2019-09-24T09:16:55+00:00


Quand je suis revenu à Berlin-Est après ce voyage touristique, j’avais compris deux ou trois nouvelles choses. Depuis la leçon du Printemps de Prague, en 1968, je savais que c’était dans le pays du grand frère que se déciderait notre destin. Là et seulement là, au cœur de la dictature. Je guettais donc avec ardeur la plus petite hirondelle, le moindre souffle de vent chaud qui pourrait annoncer un printemps de Moscou.

Je continuais de m’étonner qu’ils m’aient laissé m’y rendre. Ne l’avaient-ils vraiment pas remarqué ? C’est vingt ans plus tard seulement que j’ai trouvé la réponse dans mes dossiers de la Stasi : les camarades de la Sécurité contrôlaient depuis le début mon voyage à Moscou. Ils n’avaient pas seulement toléré ce déplacement, ils l’avaient même encouragé. On trouvait dans le Code pénal de la RDA le « paragraphe-caoutchouc » 106, de sinistre réputation, un article qui réprimait la « propagande hostile à l’État ». Un coup de colère contre le président du Conseil d’État, Ulbricht, un mot contre le « Mur de protection antifasciste », une critique de la justice du socialisme réel étaient suffisants pour se retrouver derrière les barreaux. Ce qui était nouveau, pour moi, c’était cela : le même délit était aussi mentionné un peu plus loin, dans l’article 108 : « Crimes d’État commis contre un autre pays socialiste », c’est-à-dire contre les pays frères socialistes et en particulier contre le grand frère, l’Union soviétique. Ce voyage entraîna une remise à jour de mon dossier. C’est pour pouvoir utiliser aussi contre moi l’article 108 que les camarades me laissèrent partir. Il est clair que ce n’était pas la Stasi qui gouvernait et décidait. Elle était réellement et sans fard ce qu’elle était censée être officiellement : l’épée et le bouclier du Parti. Mais le choix de celui que l’épée frappait et la manière dont elle le faisait relevaient exclusivement de la décision du SED, parfois de la direction du Parti, voire du secrétaire général en personne.

En 1971, Erich Honecker remplaça Walter Ulbricht au poste de secrétaire général du SED. Honecker était donc passé du pouvoir éphémère à la toute-puissance très éphémère. Je n’ai plus jamais revu son épouse, Margot, après le 11e plénum de 1965, et je n’ai jamais cherché la discussion avec le fils de communistes de Halle. Tout était dit. Nous étions l’un pour l’autre l’ennemi de classe. Cela faisait de la peine à ma mémé Meume, mais elle me soutint. Lorsque la vieille femme me rendit une toute dernière fois visite en RDA, c’est à quatre pattes qu’elle monta l’escalier. Très lentement et sans se plaindre. Elle entendait très mal, désormais, et parlait donc un peu fort. Mémé Meume me consola dans son inaltérable dialecte saxon, avec une phrase mémorable : « Mon gars, c’est qu’il y a déjà d’nouveau des communistes de première, de deuxième et de troisième classe ! Et nous, on est de troisième ! Mais pour moi, on est de première, mon Wolf ! »



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